Jamais un sans deux, donc voici un autre poème roumain de Paul Celan:

*

Poème pour l’ombre de Marianne

La menthe de l’amour a poussé comme un doigt d’ange.

Crois-le : un bras retors de silences surgit encore de la terre,
une épaule brûlée par l’ardeur des lumières éteintes,
un visage aux yeux bandés par le foulard noir de la vue,
une énorme aile de plomb et une autre de feuilles,
un corps épuisé par le repos imprégné d’eau.
Vois comme il flotte dans l’herbe aux ailes déployées,
comme il gravit l’échelle de gui vers la maison de verre,
dans laquelle il égare à grands pas une plante marine.

Crois qu’est venu le moment de me parler entre les larmes,
d’aller là-bas pieds nus, pour qu’on sache ce qui nous est échu :
le deuil siroté dans un verre ou le deuil siroté dans une paume –
puis que la plante folle s’endorme en entendant ta réponse.

Que sonnent les fenêtres de la maison en se heurtant dans le noir,
se disant elles aussi ce qu’elles savent sans le savoir :
nous nous aimons ou nous ne nous aimons pas.

Je me suis amusé à traduire l’un des rares poèmes roumains de Paul Celan. La mise en page laisse à désirer pour cause de flemmardise, mais bon… En voici le résultat :

*

Aveuglés par des soubresauts géants, nous nous sommes rencontrés, voyageurs parmi les mirages, dans l’unique étreinte du renoncement.
L’heure est celle d’hier, mais une troisième aiguille l’indique, incandescente,
que je n’avais jamais vue auparavant dans les jardins du temps –
les deux autres s’embrassent au sud du cadran.

Lorsqu’elles se seront désenlacées, il sera trop tard, le temps sera autre,
l’aiguille étrangère tournoiera follement, jusqu’à ce qu’elle ait incendié toutes les heures d’un feu contagieux,
puis elle les fondra en un seul chiffre
qui à la fois sera heure, saison et les vingt-quatre pas que je ferai au moment de ma mort

puis elle bondira à travers la fenêtre brisée au beau milieu de la maison
m’invitant à la suivre, à lui servir de compagnon auprès d’une nouvelle horloge qui mesurera un temps beaucoup plus grand.
Quant à moi, je préfère que l’heure se mesure à l’aune des sabliers,
que ce temps soit plus fin, autant que l’ombre de ta chevelure dans le sable, et que je puisse en dessiner la silhouette avec du sang, conscient qu’une nuit s’est écoulée.
Quant à moi, je préfère les sabliers pour que tu puisses les fracasser quand je te dirai le mensonge de l’éternité.
Je les préfère comme toi aussi tu préfères à mes cheveux aux miroitements incertains les serpents,
je préfère les sabliers car je peux les briser sans peine avec la béquille de l’amertume
pour que soit différée dans le firmament une énorme aile née en automne
et qui pendant que je gis à tes côtés change de couleur.