Jamais un sans deux, donc voici un autre poème roumain de Paul Celan:

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Poème pour l’ombre de Marianne

La menthe de l’amour a poussé comme un doigt d’ange.

Crois-le : un bras retors de silences surgit encore de la terre,
une épaule brûlée par l’ardeur des lumières éteintes,
un visage aux yeux bandés par le foulard noir de la vue,
une énorme aile de plomb et une autre de feuilles,
un corps épuisé par le repos imprégné d’eau.
Vois comme il flotte dans l’herbe aux ailes déployées,
comme il gravit l’échelle de gui vers la maison de verre,
dans laquelle il égare à grands pas une plante marine.

Crois qu’est venu le moment de me parler entre les larmes,
d’aller là-bas pieds nus, pour qu’on sache ce qui nous est échu :
le deuil siroté dans un verre ou le deuil siroté dans une paume –
puis que la plante folle s’endorme en entendant ta réponse.

Que sonnent les fenêtres de la maison en se heurtant dans le noir,
se disant elles aussi ce qu’elles savent sans le savoir :
nous nous aimons ou nous ne nous aimons pas.