À l’inverse de l’Église catholique et de la plupart des églises protestantes, l’Église orthodoxe proscrit la musique instrumentale durant la liturgie. Cet interdit recèle une pensée qui puise ses racines, dit-on, dans les pratiques des premiers chrétiens, pour qui seuls le Verbe et la Voix étaient dignes d’exaltation au moment d’accueillir le corps consacré. L’instrument – le silence du langage – serait profanation de la Vérité articulée, proférée.
Mais on peut également y discerner une autre logique. Le mutisme de l’instrument, sa choséité inhumaine, nous détournent de l’essentiel en nous le mettant à disposition. Car la musique instrumentale bouleverse la parole, lui livre la révélation d’une voix qui ne veut, qui ne peut plus rien dire en passant immédiatement outre l’humain. La puissance d’une telle épiphanie est insupportable. Elle rend ivre de stupeur, d’un trop-plein de vérité qui met à mal la sérénité à laquelle aspire le rite immémorial.
Peut-être qu’il faut s’abîmer dans ce ton d’avant toute parole, d’avant toute lettre et d’avant toute âme ou, au contraire, se consacrer à la langue, à l’étude des Écritures, de la Philocalie, des Vies des saints, etc., afin de dissiper cette impression d’immédiateté. Ou encore : il faut prêter à la parole les tours et détours poétiques de l’apophase pour que la théologie négative devienne à son tour comme une musique instrumentale.
