In due tempi

Lorsque j’ose, à mes heures perdues, fantômes aidant, me donner des airs d’écrivain, je m’imagine assis sur un tabouret, le bras droit accoudé au bord de la table, les doigts suintants s’emparant d’une plume que j’aurais d’ores et déjà pu tremper dans l’encrier, mais dont l’aridité me permet de faire des encoches – invisibles à l’orée du soir – à même les fibres de la feuille presque blanche. Nous sommes en 1876. Puis, tout à coup, l’encre se met à couler au-dedans de mes tempes. Petit à petit, le battement des mots se fractionne jusqu’à ce que s’en dégage une délicate polyrythmie ; des clusters inaudibles se forment doucement avant de se dissiper, et le déluge d’encre semble soudain imminent. Au terme de cet instant interminable, je me retrouve en présence d’une substance étrange : je. Non pas moi, bien sûr, mais l’autre, celui qui tient la plume et s’efforce d’accorder les verbes malgré leur vacarme proverbial. Puis un gribouillis d’éclats efface les figurations que j’avais tracées, à la pointe acérée, sur la menue surface du papier. L’enchaînement des gestes est d’une violence inouïe et je crois que quiconque verrait mes yeux crayeux s’en détournerait. Mais il n’en est pas moins vrai qu’une forme – la forme, seule et unique – finit par se manifester. Nous sommes en 1876.

*

Qu’est-ce qui a bougé entre le moment où ma rêverie – ni la première, ni la dernière – s’est mise en branle et celui où je revins à moi, conscient de mon incapacité à traduire ces bribes de parole qui traversent mon esprit et qui réclament un dialogue écrit, danse joignant mes deux mains à ce lieu protéiforme qu’on appelle parfois le corps pensant ? Ou simplement pesant, car ce qui se faufile entre le n et son absence, entre ces infinis verbes-variables qui cherchent à s’incarner en nous et leur irréalité, c’est un poids insoutenable, le poids d’une multitude de figurations et de défigurations que je ne parviens pas à assembler, car j’existe ici et maintenant, perpétuellement au présent.

Vocation

L’écriture l’appelle à elle. Tacitement.

Du jour au lendemain, il dit savoir manier le Verbe, évoque son « alchimie ».

Tout cela passe son entendement.

Puis l’horizon du monde audible se retire pour laisser filtrer une poignée de graines pulvérulentes.

Un jour elles mûriront en inscriptions indéchiffrables.