Un parcours parsemé de livres – de la reconnaissance du premier aleph entr’aperçu jusqu’à ce sigle que tu viens de déchiffrer, cher lecteur, chère lectrice – et qui ne repose sur aucune pierre de touche, se sachant dépourvu de destin. Voilà peut-être ce que Heidegger entendait par Holzwege. En l’absence d’un commencement et d’une fin définissables, le sentier sylvestre serpente à l’infini, n’aboutissant jamais ailleurs que nulle part.
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Chimérique cheminement.
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Pourquoi prévaut-t-elle, cette transe hagarde qui empoigne celui qui se livre sans réserve au langage ? Ce ne sont pourtant pas les jalons qui manquent. Il existe d’innombrables commentaires, gloses, explications, notes en bas de page et bibliographies, pour ne rien dire des disquisitions herméneutiques qui finissent par déloger l’objet de leurs attentions. Tout concourt à ériger des cairns dans cette forêt de symboles d’où nous sommes sans cesse débusqués. Mais les pèlerins qui arpentent l’espace littéraire savent que toute parole proférée n’est qu’une prolongation de la promenade, un supplément d’égarement qui ne peut qu’exacerber la perte de sens initiale.
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Mieux vaut errer sans arrière-pensées. Ou encore : il est nécessaire de se vouer à l’amnésie du vagabondage, faute de pouvoir concevoir un système hermé(neu)tique, d’être à même de bâtir une demeure au sein du langage – n’en déplaise à celui qui affirma que « Die Sprache ist das Haus des Seins ». À moins qu’il ne s’agisse d’un gîte de fortune, dé/pliable selon l’exigence du moment, de l’événement…
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Inutile de chercher son chemin parmi les cailloux éclatés, ils nous ont d’ores et déjà transpercé la plante des pieds.
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Apprendre à perdre, apprendre à se perdre. Délaisser la Littérature au profit des signes, des traces et de leur écart. Ce qui est écrit, ce qui est lu et ce qui est tapi dans l’abîme qui sépare ces deux gestes. Ni plus ni moins.
